Les trésoreries d’actifs numériques (DAT), soit des sociétés cotées qui accumulent du BTC ou de l’ETH dans leur bilan d'entreprise, sont devenues un canal d’accès novateur au marché. Le lancement des ETF spot en 2024 a ouvert l’accès à une nouvelle catégorie d’investisseurs, autrefois privés de la détention directe de BTC et d’ETH. Les trésoreries digitales offrent ainsi une exposition à ces actifs et leurs écosystèmes via des actions cotées, avec la faculté de lever et d’allouer des fonds de manière stratégique.
Nous avons précédemment étudié la stratégie de Michael Saylor, qui a mobilisé des fonds par émissions d’actions et de dette convertible pour accumuler plus de 628 000 BTC (2,9 % de l’offre totale de bitcoin). Ce modèle inspire désormais de nombreuses structures, depuis Marathon Digital jusqu’à Metaplanet au Japon ; il permet aux actionnaires de bénéficier d’une exposition amplifiée grâce à l'effet de levier au BTC. Ce schéma s’étend désormais à d’autres écosystèmes, avec une ruée d’entités vers l’accumulation d’Ether (ETH) dans leur trésorerie corporate.
Si l’objectif demeure d’accroître la valeur actionnariale par une exposition aux actifs sous-jacents, les trésoreries ETH se distinguent des modèles BTC par leur capacité à exploiter le staking et la DeFi propres au réseau Ethereum. Cette faculté ouvre la voie à des rendements optimisés via le rendement natif de l’ETH et la mise en valeur productive des fonds on-chain. Dans cette édition du State of the Network, nous analysons l’influence croissante des trésoreries ETH sur la dynamique de l’offre d’Ethereum et les implications potentielles à mesure que ces grands investisseurs s’engagent on-chain.
Depuis juillet, les trésoreries corporate Ethereum ont accumulé 2,2 millions d’ETH, soit près de 1,8 % de l’offre en circulation. Cinq principaux acteurs mobilisent actuellement des capitaux via des levées de fonds en actions et des opérations PIPE afin d’agrandir leur portefeuille. Au 11 août, ces entités détiennent :
BitMine Immersion Technologies mène actuellement le classement des détenteurs corporate d’ETH. Avec désormais 0,95 % de l’offre, la société se rapproche rapidement de son objectif d’accumuler 5 % de l’ETH circulant. La compétition s’intensifie, alors que ces entreprises renforcent leurs réserves à des niveaux de marché avantageux.
Source : Coin Metrics Network Data Pro & Déclarations publiques (au 11 août 2025)
La tendance s’accentue lorsqu’on considère le mécanisme d’émission d’Ethereum. Régie par le proof-of-stake (PoS), l’offre évolue selon les récompenses allouées aux validateurs et les frais de transaction brûlés, ce qui rend l’émission nette tantôt déflationniste, tantôt inflationniste.
Depuis « The Merge » en septembre 2022, 2,44 millions d’ETH ont été émis, 1,98 million brûlés, pour une croissance nette de 454 300 ETH. Depuis juillet, les sociétés de trésorerie ont accumulé 2,2 millions d’ETH, bien au-dessus du rythme d’émission nette. Contrairement à l’offre plafonnée et au mécanisme de halving du bitcoin, qui réduisent la nouvelle émission au fil du temps, celle d’Ethereum reste dynamique et pour l’heure inflationniste. Cette intensité de la demande est d’autant plus notable que la capitalisation de l’ETH est près de 4,5 fois inférieure à celle du BTC.
Source : Coin Metrics Network Data Pro & Déclarations publiques
Le déséquilibre croît encore avec les afflux dans les ETF Ether, qui se sont accélérés récemment. Ces véhicules absorbent une part croissante des 107,2 millions d’ETH en flottant disponibles, en plus des 29 % stakés et des 8,9 % immobilisés dans des smart contracts. Cette accumulation continue par les trésoreries et les ETF pourrait accentuer la sensibilité des prix face à de nouvelles vagues de demande.
Tandis que la majorité des trésoreries ETH demeurent en phase d’accumulation, une partie de leur capital devrait progressivement s’activer on-chain. Grâce à l’infrastructure de staking et à la DeFi d’Ethereum, ces acteurs visent à maximiser les rendements ajustés au risque et à valoriser activement leurs portefeuilles, à la différence des approches plus passives des trésoreries BTC. La tendance est visible : SharpLink Gaming stake la majorité de ses réserves, BTCS Inc. utilise Rocket Pool pour générer des revenus, tandis que The Ether Machine et ETHZilla se préparent à une gestion on-chain plus dynamique.
Source : Coin Metrics Network Data Pro
Ethereum offre aujourd’hui un rendement nominal de 2,95 % et un rendement réel de 2,15 % via le staking, en récompense de la sécurisation du réseau. Les sociétés de trésorerie peuvent ainsi percevoir un flux de revenus régulier, en sus de la potentielle plus-value de l’actif. Par exemple, si 30 % des 2,2 millions d’ETH détenus étaient stakés à un rendement nominal d’environ 3 % pour un ETH à 4 000 USD, cela représenterait près de 79 millions USD de revenus annuels. Un afflux massif de staking pourrait réduire les rendements, mais cet effet resterait contenu car le taux de récompense décroit graduellement avec l’accroissement de la somme stakée.
Les trésoreries corporatives privilégient deux approches : opérer leurs propres validateurs ou recourir à des protocoles de staking liquide. Ce dernier, clarifié par la SEC comme n’étant pas des titres financiers, permet de staker via des tiers tels que Lido, Coinbase ou RocketPool, tout en recevant un jeton de staking liquide en contrepartie.
Bien que comportant un risque additionnel, ces jetons, tel le stETH de Lido, sont largement employés dans la DeFi pour des emprunts collatéralisés ou la recherche d’un rendement supérieur au staking classique, dans une logique d’efficience du capital. Sur Aave v3, ETH et les jetons de staking liquide comme le stETH encapsulé forment un pool de liquidité conséquent (soit les actifs disponibles au prêt), qui atteint aujourd’hui près de 1,1 million d’ETH. Les trésoreries pourraient encore renforcer ce pool, augmentant les rendements et soutenant la liquidité marché.
Source : Coin Metrics Network Data Pro
Malgré des records de volumes de transactions sur le réseau principal Ethereum (entre 1,7 et 1,9 million par jour), les frais restent faibles, du fait de récentes augmentations du gas limit et améliorations de capacité blob, ayant fluidifié le réseau et déplacé une part de l’activité vers les L2. Si le capital des trésoreries corporate s’active massivement on-chain, les transactions de grande valeur sur Ethereum L1 pourraient impulser la demande pour de l’espace de bloc et dynamiser les revenus de frais, générant un cercle vertueux entre activité corporate, liquidité et usage du réseau.
À mesure que les trésoreries ETH cotées élargissent leur présence on-chain, leur performance financière devient de plus en plus déterminante pour la santé à long terme d’Ethereum, reliant directement les résultats corporate hors-chain aux effets possibles sur le réseau. D’importantes détentions de long terme peuvent réduire l’offre circulante, renforcer la légitimité et approfondir la liquidité, mais la concentration, l’effet de levier et les risques opérationnels font que les conséquences corporate peuvent affecter l’ensemble du réseau.
Si la question reste globale à l’échelle du réseau, les trésoreries sont elles-mêmes pilotées par la dynamique des marchés et la confiance des investisseurs. Un bilan solide et une confiance durable permettent une croissance des portefeuilles et une participation accrue. À l’inverse, une forte baisse des prix, une raréfaction de la liquidité ou un excès d’effet de levier peuvent entraîner des ventes d’ETH ou une réduction de l’activité sur la blockchain.
En suivant de près les indicateurs à la fois réseau et corporate, les investisseurs peuvent anticiper plus finement l’influence des stratégies de trésorerie sur la dynamique de l’offre et la santé du réseau Ethereum.
L’ascension rapide des trésoreries corporate ETH met en avant l’attrait d’Ethereum comme actif de réserve et source de rendement on-chain. Leur présence croissante peut renforcer la liquidité et l’activité du réseau, mais expose aussi le marché à des risques de levier, de financement et de gestion du capital. Les pressions hors-chain, liées à la performance boursière ou à l’endettement, peuvent se répercuter sur le réseau à mesure que ces liens se resserrent. Suivre précisément la santé bilancielle et l’activité on-chain sera essentiel pour comprendre l’influence et les risques portés par ces nouveaux véhicules.
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